Le monde de Sofia
Marie Antoinette a été sifflé à Cannes.
Marie-Antoinette avait été méprisée à son arrivée à Versailles.
Sofia Coppola a été sifflée à Cannes.
Sofia Coppola avait été méprisée à la sortie du Parrain III, pour le rôle de Mary Corleone.
Le monde est trop sérieux pour les petites filles comme Marie-Antoinette et Sofia.
Mais qu'attend-on d'elles, exactement ? Du génie ? De la majesté ? Une révolution ? Pour ce qui est de Marie-Antoinette, la révolution s'est faite contre elle, malgré elle. Le peuple l'a décapitée pour lui faire goûter à la réalité. Faute de moyens et d'ambition, le peuple d'aujourd'hui crie : "remboursez !" à Sofia. Mais rembourser quoi, au juste ? Que nous doit Sofia Coppola ?
C'est une aristocrate, elle est née avec une cuiller en or dans la bouche, elle n'a jamais connu de difficultés, tout lui est dû... elle doit donc payer.
Et comment lui faire payer sa liberté, sa légèreté, son arrogance autrement qu'en lui rappelant qu'elle est insignifiante, quelconque, qu'elle est comme nous, qu'elle fait partie du peuple ?
Les filles comme Marie-Antoinette et Sofia sont nées pour être descendues.
Quand on est de basse extraction, on aspire à s'élever. Et les êtres désignés comme supérieurs, on espère qu'ils tombent, qu'ils se ramassent. Mais quelle faute ont-ils commise, au juste, ces anges déchus ? De ne pas être à la hauteur ? A la hauteur de quoi ? du rang ? du père ?
Marie-Antoinette n'a rien fait d'autre qu'exister, à une époque où tout le monde voulait exister et pour cela il fallait la descendre, elle et ceux de sa race.
Sofia Coppola, depuis son premier film en tant que réalisatrice, ne parle que d'elle. Et elle en parle magnifiquement. Comment expliquer les sifflets et les quolibets, alors, autrement que par la jalousie ? Tout le monde rêve d'être à sa place et personne ne comprend qu'elle est irremplaçable. Que c'est justement son parcours de pauvre petite fille riche qui fait ce qu'elle est. Et au lieu de la remercier de vouloir partager cela avec tous, tous lui en veulent de ne pas avoir vécu sa vie.
Quand Sofia se raconte à travers Marie-Antoinette et quand elle raconte Marie-Antoinette à travers elle (le principe même du film d'auteur), on ne peut être qu'émerveillé par autant de résonance, de vérité, d'honnêteté.
Siffler Marie Antoinette, c'est nier l'existence d'autrui, c'est se placer au dessus de tous, c'est se croire supérieur alors qu'on est petit.
Huer Sofia Coppola, c'est réclamer justice, mais la véritable injustice c'est de réclamer aux autres de ne pas être exceptionnel et de rester comme soi, médiocre.